Au bout de la route

Publié le 1 Décembre 2012

Au bout de la route

L’orient m’a toujours attiré. Depuis que je me suis baladé à vélo vers le levant, c’est encore plus vrai. Il y a toujours une ambiance particulière à voyager, et une saveur unique à aller vers l’orient. Partir vers l’est c’est partir vers l’origine, vers Athènes et Jérusalem, les mères de notre culture. Il y a un parfum particulier, qui se diffuse petit à petit, dont on sent les premières effluves dans la plaine hongroise, et qui se fait plus pressant quand on entre en terre slave, du côté de la Bulgarie, des Balkans puis de la Grèce. J’attends avec impatience de cheminer plus loin, Turquie, chaîne caucasienne, Arabie et Perse.

Il y a quelques temps, nous partions en vélo avec ma compagne. À travers l’Europe, vers l’est. La première année fut un échauffement aux portes de l’Europe centrale. À travers la Bavière, la Tchéquie, pour rejoindre enfin Vienne par sa voisine Bratislava, cette balade dans le vieux pays germain catholique nous a permis de nous chauffer les mollets. L’été suivant, cap à l’est donc, le long du Danube, fleuve drainant la moitié de l’Europe, à travers les immenses étendues de Hongrie, d’une morne monotonie pour le cyclo-touriste.

Arrivée enfin en terre serbe, ces slaves du sud qui ont suivi Byzance. L’orient se fait sentir un peu plus, on apprend l’alphabet cyrillique pour ne pas se perdre, les popes ont succédé aux curés avec leurs barbes noires. Les Trabants se multiplient depuis la Hongrie, accompagnées ici par des Lada, des Yugo et des Zastava.

Belle rencontre que nous avons fait durant cette partie du voyage. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on fait difficilement de belles rencontres à vélo. Si on sent plus le pays, s’il rentre par les jambes, les épicerie et la météo, il est toujours difficile au voyageur de rentrer en contact avec l’autochtone, au nomade de partager un moment authentique avec le bourgeois. On en fait néanmoins quelques unes, et sûrement plus qu’au Club Med.

Ce jour là sur un marché de Sombor, nous avons croisé Aleksandar, qui parle bien le français. Autour d’un café turc (eh oui l’orient toujours, qui rentre aussi par les saveurs et les odeurs), il nous a raconté sa vie en France dans les années 90, où il a croisé Lilian Thuram quand il jouait au Football Club de Fontainebleau. On sent un gaillard encore athlétique qui vit maintenant de petits boulots au pays. Son passage en France date de la guerre, de la guerre civile comme il la nomme. Lui est séparé de sa femme, une croate, de ces slaves du sud qui ont choisi Rome. Un moment privilégié avec cet ancien routard qui a posé sa valise ici.

Où nous a mené cette route vers l’orient et quel rapport avec nos bâtisseurs de cathédrale ? J’y viens, j’y viens, cher ami. Notre étape, en attendant le prochain été, s’est terminé à Belgrade, capitale de la Serbie, trônant sur une colline au-dessus du Danube, l’une des plus anciennes cités d’Europe, conquise plus de 40 fois au cours de son histoire.

Ville diverse donc, à la rencontre de nombreuses traditions, où l’on trouve encore des immeubles éventrés par des bombardements de l’OTAN, en face des palais présidentiels et des ministères. Et une cathédrale en construction. Belgrade, abrite évidemment une cathédrale depuis des siècles, puisque son évêque est le patriarche de l’Eglise orthodoxe autocéphale de Serbie. Néanmoins l’édifice richement décoré, dans le centre de la ville, est assez petit et l’on a commencé à bâtir une cathédrale sur l’emplacement où aurait été brûlé la dépouille de Saint Sava, qui est un peu à la Serbie ce que Saint Martin est aux Gaules, et Saint Patrick à l’Irlande celte : un fondateur.

La première pierre a été posé en 1935, à la veille du second conflit mondial, mais il faut remonter plus loin encore pour voir le lancement de ce chantier. C’est en effet en 1895 que la Société pour la construction de la cathédrale Saint Sava sur le Vračar a été fondé. Le projet a d’abord été retardé par les guerres balkaniques et la première guerre mondiale avant que le chantier, qui avait enfin commencé, soit arrêté avec la seconde guerre mondiale. L’armée nazie puis l’armée rouge useront du site comme parkings. Le parthénon servit bien de poudrière pendant des dizaines d’années avant évidemment de sauter un beau jour ; son aspect actuel ne vient pas comme on pourrait le croire de l’usure longue des siècles. Les croyants savent décidément construire du solide, quand les militaires sont très inventifs pour des usages originaux des lieux de l’esprit. S’ils pouvaient se contenter du krak des chevaliers, de la grande muraille de Chine ou de la ligne Maginot !

Bref, finalement la construction a repris le 12 août 1985 après 87 refus des autorités. Il ne reste aujourd’hui «que» l’intérieur à faire, plus de 100 ans après que le chantier ait été lancé. Belle leçon que cette persévérance au travers du XXème siècle tourmenté, au delà des guerres et des dictatures, pour édifier ce temple religieux et national. Chartres en comparaison a été bâti en 30 ans, c’était il y a huit siècles. Patience et longueur de temps sont maîtresses vertus dans l’architecture religieuse, Dieu ne fait pas payer d’indemnités de retard pour le BTP du sacré.

En forme de croix grecque, carrée, la bâtisse est impressionnante au sommet du Vračar, avec sa hauteur de 82 m et sa croix d’or de 12 m. Là où les cathédrales latines s’envolent vers le ciel à l’aide de leurs flèches, il se dégage une impression de force et de quiétude de ces blocs que sont les églises orthodoxes.

Petit aparté pour conclure cet article sur cette beauté slave. Voir le monde, visiter ces merveilles, visiter certains bâtiments, certaines cathédrales, ça se mérite. Je lis que le nouveau schéma de desserte du Mont Saint Michel fait scandale, les cohortes de touristes ne veulent pas marcher 800 m entre le parking et le départ des navettes. Peut-être faudrait-il leur installer un tapis roulant comme entre Châtelet et les Halles, histoire qu’ils soient vite arrivés et vite repartis, consommant la merveille de l’occident comme un mauvais hamburger ! Fast-visite et fast-food au programme ! Quand on pense que les pèlerins marchaient des kilomètres pour venir au mont, des centaines voir des milliers de kilomètres, vivant de la générosité de l’hôte, il est si dur aujourd’hui d’y consacrer ne serait-ce qu’une journée entière. La visite des merveilles de l’intelligence humaine mérite qu’on y mette le temps, qu’on peine un peu pour les atteindre. La cathédrale de Belgrade aura toujours un parfum particulier pour celui qui est parti de Bratislava et est passé par Budapest pour l'atteindre, le tout à la force de ses jambes. Qu’importe si on a pas «fait» toutes les visites, si on ne pourra pas témoigner lors d’un diner mondain d’avoir «fait» tel ou tel pays, comme ces anciens combattants qui ont «fait» Dien Bien Phuh ou Kolwezi.

La cathédrale Saint Sava de Belgrade (photo de wikipedia)

La cathédrale Saint Sava de Belgrade (photo de wikipedia)

Aleksandar qui nous à accueilli chez lui, sur la route

Aleksandar qui nous à accueilli chez lui, sur la route

Rédigé par Florian

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article