Sacré famille

Publié le 9 Février 2013

Sacré famille

S’il ne devait y avoir qu’un seul édifice à voir dans sa vie pour se convaincre que construire pour Dieu est encore de nos jours l’un des meilleurs moyens de sublimer l’architecture, ce serait celui-là. En comparaison, le luxe matérialiste des constructions extravagantes de la débilopole dubaïote, dédié au commerce et la consommation, peut aller croupir au fond des sables d’où il n’aurait jamais du sortir. Elle se dresse dans le ciel de Barcelone, et rejoint la cohorte réduite des constructions d’exceptions comme Notre-Dame de Paris, Saint-Pierre de Rome, Sainte-Sophie de Constantinople, la mosquée-cathédrale de Cordoue ou le Mont Saint-Michel. Il faut avoir vu la Sagrada Familia une fois dans sa vie pour contempler le génie humain en mouvement. Alliance audacieuse de la tradition de constructeurs médiévaux, de quelques nouvelles techniques et de l’imagination avant-gardiste d’un étrange mystique.

Gaudi s’est véritablement consumé à la fin de sa vie en imaginant cette cathédrale (une basilique mineure en faite mais ne chipotons pas), en inventant tant de formes nouvelles et de détails originaux. À partir de la trame ancienne du gothique, il introduit des formes bien connus du matheux : paraboloïdes, hyperboloïdes et hélicoïdes, qui subliment la structure. Mais ces formes ne sont pas sorties tout droit d’un obscur cahier de taupin boutonneux, ces formes, il les trouvent dans la nature. Gaudi ne s’est jamais aventuré bien loin et il a œuvré exclusivement pour la Catalogne, mais on retrouve dans la nef de sa cathédrale le chatoiement d’une forêt tropicale.

J’ai eu la chance de travailler quelques semaines dans ce petit bout de France couvert de huit millions d’hectare de forêt qu’on appelle la Guyane. Contrairement à ce que l’on peut croire à la lecture d’une obscure bande dessinée ou d’un récit d’aventure, la forêt tropicale n’est pas forcément une forêt où se mêlent et s’emmêlent toutes sortes de végétation et d’arbres tordus, fouillis impénétrable et étouffant, blindé d’épines et de plantes coupantes. Dans d'obscures parties marécageuses, de tels enfers existent mais si nous prenons les forêts du plateau des Guyanes, nous sommes avant tout dans le règne de la verticalité. En effet une fraction infime de la lumière arrive au sol et c’est une course effrénée des arbustes pour atteindre la canopée et la lumière nécessaire à la photosynthèse qui se jouent partout et à tout moment. Dans cette lutte darwinienne, sauvage et impitoyable, tout le monde pousse droit comme un i et les forêts tropicales alignent des arbres d’une diversité hallucinante, de beaux feuillus tous aussi droit que nos sapins de moyenne montage. Ceux qui les connaissent n’hésitent pas à parler d’ailleurs de forêts … « cathédrales ». La Sagrada Familia est un hommage à cette nature et à ces merveilles que sont les arbres colossaux, les colonnes de basaltes soutiennent la croisée de transept, et celles en porphyre d’Iran ou en granite peuplent la nef. Elles se ramifient toutes en atteignant la canopée, formant des branches qui se joignent en une voûte spectaculaire. La charpente de Notre-Dame de Paris est surnommée « la forêt » par les guides touristiques, les conservateurs, les escaladeurs clandestins et probablement quelques quasimodo perdus mais à Barcelone, c’est toute la basilique qu’il faudrait surnommer ainsi.

Tropicale, la cathédrale l’est aussi par ses couleurs, la lumière était la pièce maîtresse de l’architecture pour son créateur, ce qui valait à sa science de prévaloir selon lui sur la sculpture ou la peinture. De larges ouvertures offrent des espaces de choix pour le travail des vitraillistes, et les couleurs chaudes commencent à peupler la cathédrale, il reste à attendre la fin des travaux et la pendaison de crémaillère.

Car l’œuvre est loin d’être achevé et c’est bien l’autre leçon de cette folie : le temps. Commencée en 1882, la basilique ne devrait pas être achevée avant 2026, qui correspondra au centenaire de la mort de l’architecte. On a vu des constructions médiévales finies en bien moins de temps. Construite uniquement à partir des dons, il aura donc fallu plus d’un siècle au vaisseau de pierre pour émerger de terre, traversant le siècle qui aura vu le temps s’accélérer et la Terre se rétrécir, qui aura vu s’inventer l’avion, la fusée, le train à grande vitesse, internet, l’informatique, … Leçon de patience. Antonio Gaudi ne s’y était pas trompé lui qui a commencé par une des façades latérales du temple pour empêcher que l’église ne soit utilisable avant qu’on ait mené son projet grandiose à terme. Le filou rendit impossible la modification de la hauteur de la construction finale et se fendit ainsi d’un pied de nez à toute velléité utilitariste.

Rédigé par Florian Coupé

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