Evry ou la laïcité de demain ?

Publié le 5 Mai 2013

Ce blog vous parle, rares lecteurs à être tombés ici par les hasards de Google ou sur la recommandations obscurs d’un de mes proches, des cathédrales de notre temps. Spontanée comme celle dont la description constitue l’ossature de ma prose, ou institutionnelles pour les autres, bétonnées ou taillées dans la pierre, de style ultra-moderne ou d’un classicisme réinventé. Pensiez-vous couper à la visite de la dernière cathédrale de France à avoir été inaugurée ? Ce serait une faute impardonnable de la part de votre hôte. S’il n’y a pas forcément beaucoup à dire et à médire de cette construction, il a beaucoup à disserter sur ce qui se passe autour.

Vous l’aurez deviné, nous faisons donc un petit tour à Evry, ville nouvelle sortie de terre durant les 30 glorieuses, en banlieue parisienne. Parmi les constructions neuves (il n’y a que ça, on cherche difficilement une vieille pierre du regard), se trouve donc une cathédrale à l’image de la ville, coincée entre la mairie et la chambre de commerce, de briques rouges comme tous les bâtiments qui l’entourent. Elle est la seule cathédrale construite au XXème siècle en France, entre 1992 et 1995.

Trois ans de construction donc, c’est court, on est loin des chantiers que j’ai évoqués jusqu’à présent, la cathédrale de Mejorada qui constitue la trame de ce blog, et Saint Sava de Belgrade et la Sagrada Familia. On se rapproche de la cathédrale de Brasilia avec la même réussite dont on doute toujours un peu. Ici les arbres ne constituent pas la voûte par leurs ramifications, ils sont plantés tout autour de l’ellipse constituant le toit.

Le style est … particulier. Contrairement au plan en croix, latine ou grecque, de toutes les églises de la Chrétienté, la cathédrale de la résurrection est ronde comme une couille, cylindre tranché en biseau pointé vers le ciel. On dira pudiquement que si Gaudi a vu son procès en béatification s’ouvrir, on n’est pas sûr que la même chose attende Mario Botta, l’architecte qui a conçu ce bâtiment. Si les briques rendent les créations du tessinois peu onéreuses, elles inscrivent la construction dans la banalité moderne et répétitive de cette ville sans histoire. Peut-être pouvait-on en attendre plus d’une construction consacrée à Dieu. L’impression est renforcée quand on effectue une petite recherche sur l’œuvre complète de notre ami, qui répète à l’envie cette forme de cylindre coupé, qui est visiblement sa marque, là pour le siège d’une firme, ici pour un musée d’art moderne. D’après lui « l’architecture n’est pas un problème esthétique, mais éthique ». C’était donc ça …

On a glosé et on glose encore sur cette cathédrale, dans laquelle certains voit la marque d’une Eglise de France, résolument moderne, voir expérimentale, où les innovations gallicanes pourraient inspirer le monde. On a pu encore lire une allusion à Evry quand un prélat prend une position dans le débat public, évidemment pour conforter ou opposer les deux paradigmes. Beaucoup de choses justes dans ces tergiversations. Mais c’est aussi beaucoup plus que ça, puisqu’on touche ici au paysage religieux en général et à l’articulation religions-République.

Si, vous l’aurez compris, je goûte peu les choix opérés pour cette construction, choix tournés vers une construction rapide dont l’originalité ne transcende pas l’art sacré, il y a dans cette cathédrale, à l’heure de l’office dominicale, une ferveur comme on en voit rarement. La cathédrale accueille des croyants de toutes origines et de toutes couleurs, avec une diversité bienfaitrice, à l’image des populations de cette ville un peu déshéritée. Il y a certainement à en prendre de la graine dans l’église de France. Je n’ai serré la main qu’à des noirs durant le baiser de paix et un homme d’origine indienne m’a donné la communion avec son délicieux accent sorti de Bollywood.

De toutes origines donc, avec des blancos aussi, mais peut-être pas assez pour peupler la photo de campagne de monsieur le maire.

La laïcité de demain

Le tout n’est pas de voir la cathédrale d’Evry, il faut voir aussi ces équivalents, tous les autres monuments religieux qui peuplent la ville. En effet, Evry a la particularité d’accueillir des lieux de cultes des différentes religions, entre lesquels on peut presque aller à pied.

La mosquée est certainement encore plus moche que la cathédrale, toute de béton et de crépi affreux. Elle est rebaptisée pudiquement « Centre culturel musulman » sur sa façade et sur les panneaux de signalisation. Alors que quiconque visite son site y voit bien une mosquée, un lieu de culte. On ne fait pas tant de pudeur avec la cathédrale qui est bien indiquée comme telle sur les panneaux de signalisation. Y aurait-il un problème avec cet édifice musulman ? Dix ans de construction et des financements difficiles, avec l’aide de pays du Golfe. On ira pas leur reprocher leur ostentation, mais au contraire il est dommage de voir cet édifice capable d’accueillir 5000 personnes, ne pas se doter de façade plus agréable à l’œil, l’extérieur gris se confondant malheureusement très bien avec les logements collectifs hideux qui l’entourent. L’intérieur est sûrement bien plus beau d’après les photos que je vois, il me tarde d’aller y faire un tour.

Heureusement, on peut dire que c’est la pagode boudhiste qui rachète l’ensemble. On voit que le béton armé utilisé pour cette construction impressionnante ne rime pas forcément avec pauvreté artistique. Dans un pur style asiatique, le bâtiment est recouvert d’un rouge et jaune chatoyant avec une foule de détails finement ouvragé. Techniquement la pagode désigne seulement la tour principale qui servait aussi de point d'observation pour repérer les envahisseurs et autres assaillants. Finalement par delà les peuples, les religions et les cultures, les clochers, minarets et pagodes ont toujours les mêmes fonctions : appeler les fidèles à la prière et repérer les menaces. A Évry, on ne veille que sur la circulation des voitures sur l'autoroute qui la jouxte et sur les autres lieux de culte environnant. La pagode Khánh-Anh d'Évry est elle un ensemble de plus de 3000 m2, qui sera la plus grande pagode d'Europe. Elle est de plus très mal desservie, difficile de trouver son accès.Je ne suis pas aller voir la synagogue.

Que dire face à cette profusion de culte ?

On invente sûrement la laïcité et le dialogue des religions de demain. Durant tout le 19ème siècle, la France a rompu avec l’ancien régime et la place de religion d’Etat du catholicisme. Du coup, elle a promu une stricte égalité en finançant tous les cultes : le prêtre, le pasteur et le rabbin. C’est le régime qui perdure en Alsace-Moselle. Nous étions déjà dans une forme de laïcité, ne l’oublions pas.

Avec 1905, on est passé à une forme bien plus radicale, que nous connaissons aujourd’hui. Tout le monde le sait, le mot d’ordre est alors la stricte séparation DES églises et de l’Etat et une indifférence totale de ce dernier vis à vis des religions. Les églises des cathos, les temples des protestants et les synagogues des juifs sont propriétés de l’Etat et tous les ministres du culte ne peuvent que s’en remettre à la générosité de leurs ouailles pour survenir à leurs besoins.

Un siècle d’absolutisme du catholicisme (XVIII), un siècle de stricte égalité devant l’Etat (XIX) et un siècle de stricte indifférence (XX). Quel sera le modèle du nouveau siècle ? Avec l’apparition de l’Islam, l’Etat semble s’impliquer à nouveau dans les affaires religieuses, il reconnaît aussi une certaine expertise et tend l’oreille à l’avis des croyants sur de nombreux sujets de société. Surtout, la nouveauté est peut-être qu’il entend garantir à chacun la liberté de culte ainsi que l’accès matériel confortable à son culte. On parle beaucoup du financement des mosquées, ce qui est indéniablement la marque principale de ce nouveau paradigme, mais n’oublions pas qu’il y a un musée à Evry, dans la cathédrale, qui a permis un financement partiel de la part de l’Etat.

Ce nouveau modèle doit naviguer entre syncrétisme et communautarisme. On le sait, Sarkozy adoptait une vision fortement communautaire, parfois plus proche de la vision anglo-saxonne de la société. Et les religions, dans cette vision, ont une place bien particulière, pour structurer les communautés et servir d’interlocuteurs aux pouvoirs publics. Ce n’est pas un hasard, si le nouveau modèle se travaille à Evry, la ville de Valls, celui qui se rêve comme Sarkozy de gauche (qu’est-ce que cela signifie au juste ?), épousant les pas et une partie importante des convictions de son prédécesseur. Reste donc à savoir si ce qui se dessine sous nos yeux est la marque d’un nouveau dialogue entre les religions, d’un enrichissement réciproque ou celui au contraire, d’une fermeture, d’une segmentation de la société en groupes rabougris autour de leurs noyaux culturels, où l’échange, le changement et le voyage seraient difficiles voir proscrits. Les actualités nous montrent chaque jour que le monde pourrait malheureusement basculer dans la mauvaise option, à chacun d'être vigilant et d'oeuvrer pour que l'esplanade des temples soit un lieu d'échange.

L'intérieur de la cathédrale d'Evry

L'intérieur de la cathédrale d'Evry

Le minaret d'Evry, on a vu plus beau

Le minaret d'Evry, on a vu plus beau

La pagode, dernière née de la bande

La pagode, dernière née de la bande

Rédigé par Florian

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